Une interview du Prof. Olle Johansson(1) par la FEB(2)
FEB: Qu’est ce qui vous a poussé à vous intéresser aux personnes souffrant de troubles résultant du travail devant des moniteurs vidéo d’ordinateurs?
Prof. Johansson: Tout cela a commencé en 1980 après avoir entendu une émission radio à laquelle participait Mme Kajsa Vedin de Göteborg, elle-même très active dans le cadre d’une association et auteur d’une excellente analyse intitulée : “In the shadow of a microchip” (Dans l’ombre d’une micro-puce), concernant les risques professionnels encourus suite au travail sur ordinateur. Cette personne réclamait une expertise en neurologie. Comme scientifique de la neurologie, j’ai pensé que j’étais suffisamment versé en ce domaine et je croyais fortement que le dénouement qu’elle attendait de voir mettre en avant plan devait pouvoir être exploré facilement en utilisant le répertoire conventionnel des “outils” scientifiques. Je ne me rendais pas compte finalement de ce qu’il y avait d’autres forces qui ne désiraient pas voir s’engager de telles études, mais très tôt, je compris que ces investigations clairement définies, simples et évidentes proposées par Kalsa Vedin seraient très, très difficiles à mettre en œuvre.
Bientôt, le même type de propositions devaient être mises en avant par beaucoup d’autres personnes, incluant les deux journalistes Gunni Nordstrom et Carl von Schéele, qui ont plus tard publié leur premier ouvrage “Sjuk av bildskarm” (Malade à cause du travail devant écran d’ordinateur), Ed Tidens, 1989. Malheureusement, la plupart de ces études proposées n’ont toujours pas été engagées 15 ans plus tard.
FEB: Avez-vous mis en doute les personnes qui se plaignaient d’être devenues malades en utilisant des moniteurs vidéo d’ordinateurs?
Prof. Johansson: Pour moi, il devint clair immédiatement que les personnes se plaignant de réactions cutanées après avoir été exposées à des écrans d’ordinateurs pouvaient réagir de manière très spécifique, selon une réaction particulière de défense et ce spécialement si l’agent provocateur est une radiation ou une exposition chimique, comme cela se passe lorsqu’on est exposé à des rayonnements solaires, à des rayons X, à de la radioactivité ou à des odeurs chimiques. L’hypothèse de travail était donc que ces personnes réagiraient selon une voie cellulaire correcte vis-à-vis des radiations électromagnétiques, peut-être de manière conjointe avec les émanations chimiques comme les composants des plastiques, des retardateurs de feu etc., ce qui fut l’objet de l’attention du Prof. Denis Henshaw et de ses collaborateurs à l’Université de Bristol (ceci a été mentionné dans le livre de Gunni Nordstrom “Morklaggning – Elektronikens rattslosa offer” (Edition Hjalmarson & Hogberg, 2000).
Très tôt, cependant un grand nombre d’autre “explications” sont devenues à la mode chez beaucoup de collègues de clinique, par exemple, que les personnes se plaignant de “dermatites d’écran vidéo” n’étaient que victimes de leur imagination ou qu’elles souffraient de troubles psychologiques post-ménopausiques, ou qu’elles étaient âgées, ou qu’elles n’avaient qu’un bagage scolaire rudimentaire, ou qu’elles étaient victimes du réflexe classique de Pavlov. Etrangement, la plupart de ces “experts” auto-proclamés qui proposaient ces explications n’avaient eux-mêmes jamais rencontré de personne se plaignant de dermatite d’écran vidéo et ces “experts” n’avaient jamais effectué une quelconque étude concernant les modèles proposés d’explication. Les explications se sont rapidement révélées être des excuses de nature scientifiquement frauduleuse! Il est intéressant de constater que la science à ce moment était plutôt de la magie. Il reste à des journalistes adroits à enquêter sur la manière dont cela s’est passé.
FEB: Vous avez créé les termes “dermatite d’écran vidéo”, une appellation clinique pour expliquer les lésions cutanées apparues à la fin des années 70, lorsque les employés de bureau, principalement des femmes, ont commencé à être placés en face de moniteurs d’ordinateurs. Beaucoup parmi ceux-ci sont devenus malades et ont présenté des problèmes cutanés et neurologiques. Beaucoup de dermatologues cliniques au contraire, sous la direction du Prof. Sture Lidén, ont parlé de peurs instiguées par les syndicats, de psychoses causées par les mass-média, de phénomènes d’imagination, de réflexes de Pavlov et ainsi de suite. Mais vous, vous avez abouti à une conclusion totalement différente. Pouquoi?
Prof. Johansson: J’ai refusé de réduire les gens à un diagnostic de pathologie psychologique définie, bricolé de toute pièce, sans aucun fondement même pour des experts en psychologie et en psychiatrie. Par contre, j’ai tenté une action par la voie de la médecine du travail, de la biophysique et de la biochimie ainsi que dans le milieu des sciences neurologiques et de dermatologie expérimentale.
Je soutiens le principe démocratique selon lequel des citoyens ont le droit d’être malades, même s’ils ont une maladie impliquant un nouveau diagnostic non encore reconnu par le monde médical. Toutes les maladies ont été l’objet une première fois d’un “nouveau diagnostic” et la profession médicale a mis fortement en doute la pathologie de l’amiante, l’herpès, le SIDA et l’encéphalopathie spongiforme bovine (vache folle) etc. Je termine souvent mes conférences par cette phrase d’Einstein : “La chose importante, c’est de ne jamais cesser de se poser des questions”. Je n’ai jamais arrêté de me poser des questions et j’utilise les réponses pour les intégrer parmi le nombre sans cesse croissant de pièces d’un puzzle très, très compliqué et énigmatique.
FEB: Mr. Helge Tiainen, ancien responsable du service “Consommateurs” de Nokia Electronics en Suède a déclaré le 23 février 1994: “Les résultats des recherches de Olle Johansson pourraient très bien secouer fortement le monde de l’industrie électronique, mais l’humanité a le droit de savoir!”. Vous avez reçu des menaces de mort et vous avez été harcelé. pensez-vous que ceci a quelque chose à voir avec vos tentatives de permettre à l’humanité de savoir?
Prof. Johansson: Malheureusement oui.
FEB: Votre thèse de doctorat portait sur les neuropeptides dans le système nerveux central et périphérique. Ces substances, sont-elles également impliquées dans les réactions au niveau de la peau des personnes électrosensibles?
Prof. Johansson: Vous soulevez là une question très importante! Il s’agit d’un sujet que nous souhaitons étudier depuis plusieurs années, mais jusqu’ici, nous n’avons pas pu être en mesure de poursuivre cette voie digne d’intérêt à cause du manque de financement. Etant donné que les personnes se plaignant d’électrosensibilité / dermatite d’écran vidéo décrivent des sensations cutanées, telles des démangeaisons, des picotements, des rougeurs etc., il est évident que le système nerveux périphérique aussi bien que le système nerveux central doivent être impliqués. Et, en comprenant les modifications des neurotransmetteurs chimiques ou des niveaux des neuromodulateurs, de la synthèse, de l’interruption, de la libération ou de la recapture, on pourrait beaucoup mieux appréhender et comprendre les fondements de ces réactions d’évitement basées sur des signaux transmis via les voies classiques sensorielles et autonomes.
FEB: Lorsque vous réalisez des biopsies sur des personnes électrosensibles, que constatez-vous habituellement?
Prof. Johansson: Nous sommes précisément maintenant dans un processus d’examen d’un grand nombre d’échantillons de peaux de visages, et à partir de cela, nous constatons couramment une forte augmentation des cellules souches. Aujourd’hui, nous n’utilisons pas seulement l’histamine, mais aussi d’autres marqueurs de cellules souches comme la chymase et la tryptase, mais le schéma est toujours le même, comme indiqué précédemment pour d’autres personnes électrosensibles. De plus, des augmentations de nature similaire ont maintenant été démontrées dans une situation expérimentale exposant des volontaires sains normaux à des écrans vidéo d’ordinateurs et à des postes de télévision ordinaires.
Au cours des études préliminaires, une publication doit être mentionnée. Dans celle-ci, de la peau de visage de patients atteints de ce que l’on appelle la dermatite d’écran vidéo a été comparée avec de la peau de visage de volontaires sains. Le but de l’étude consistait à évaluer des marqueurs possibles à les utiliser pour des investigations par provocation en double aveugle ou en aveugle. Des différences ont été trouvées pour les marqueurs biologiques comme la calcitonine, peptide de relation génique (CGRP), la somatostatine (SOM), le polypeptide vasoactif intestinal (VIP), le peptide histidine-isoleucine amide (PHI), le neuropeptide tyrosine (NPT), la protéine S-100 (S-100), l’énolase neurone-spécifique (NSE), le produit protéine génique 9,5 (PGP) et la phényléthanolamine N-méthyltransférase (PNMT).. L’impression générale dans le matériel codé en aveugle était telle qu’elle a permis facilement la séparation en deux groupes distincts l’un de l’autre…
FEB: Vous et votre collaborateur Shabnam Gangi avez présenté un modèle théorique concernant la manière dont les cellules souches et les substances qu’elles sécrètent pourraient expliquer la sensibilité aux champs électromagnétiques. Pourriez-vous s’il vous plaît, expliquer cela, et expliquer également le fonctionnement des cellules de Langerhans ainsi que le temps mis pour revenir à la normale?
Prof. Johansson: Oui, nous avons publié deux articles d’aspect théorique. Ils s’écartent des faits connus dans le domaine des lésions liées aux radiations ultra-violettes et aux radiations ionisantes. Ils tiennent compte des publications récentes concernant les altérations observées par exemple avec les champs électromagnétiques des réseaux électriques et avec les champs de micro-ondes, pour proposer un modèle simple, résumant la manière d’interpréter le phénomène d’électrosensibilité.
Dans la première publication, parue dans “Experimental Dermatology”, nous avons décrit le fait que de plus en plus de personnes disent qu’elles ont des problèmes cutanés ainsi que des symptômes liés à certains organes internes, tels le système nerveux central et le cœur lorsqu’elles s’approchent d’appareils électriques. Un groupe dominant de ces patients représente les usagers des moniteurs vidéo d’ordinateurs. Ceux-ci se plaignent de souffrir de symptômes subjectifs et objectifs en relation avec la peau et les muqueuses, comme des douleurs, des démangeaisons, des sensations de chaleur, des erythèmes, des papules et des pustules. Les symptômes liés au système nerveux sont, par exemple des vertiges, de la fatigue et des maux de tête. Les érythèmes, les démangeaisons, les sensations de chaleur, les oedèmes et les douleurs sont également des symptômes communs aux coups de soleil (dermatites ultra-violettes).
Des altérations ont été observées parmi les populations de cellules de peau de patients souffrant de ce que l’on appelle la dermatite d’écrans vidéo; elles sont semblables à celles observées sous l’effet de radiations ultra-violettes ou de radiations ionisantes. Chez les patients souffrant de dermatite d’écrans vidéo, un beaucoup plus grand nombre de cellules souches a été observé. Il est bien connu que l’irradiation par des Ultra-Violets B induit une dégranulation des cellules souches et une libération de TNF-alpha. Le nombre élevé de cellules souches présent chez les patients atteints de dermatite d’écran vidéo et la libération possible de substances spécifiques, comme de l’histamine, peuvent expliquer les symptômes cliniques de démangeaisons, de douleurs, d’œdèmes et d’érythèmes. La modification la plus remarquable parmi les cellules cutanées, après exposition aux sources de radiations mentionnées ci-dessus est la disparition des cellules de Langerhans. Cette modification a également été observée chez les patients atteints de dermatite d’écrans vidéo, ce qui indique un mécanisme cellulaire et moléculaire commun. Les résultats de cette étude de littérature démontrent que des modifications hautement similaires existent chez les patients atteints de dermatite d’écrans vidéo et ceux dont la peau a été agressée par de la lumière ultra-violette ou par des radiations ionisantes, en ce qui concerne les manifestations cliniques et les altérations dans les populations cellulaires.
Dans la seconde publication, parue dans le journal “Medical hypotheses”, la relation entre l’exposition aux champs électromagnétiques et la santé humaine est plus que jamais en point de mire. Ceci est dû principalement à l’augmentation rapide de l’utilisation de tels champs électromagnétiques dans notre société moderne. L’exposition aux champs électromagnétiques a été mise en relation avec certaines formes de cancer, comme les leucémies, les cancers du cerveau par exemple, avec des maladies neurologiques comme la maladie d’Alzheimer, avec l’asthme et l’allergie, et plus récemment avec le phénomène d’électrosensibilité et de dermatite d’écrans vidéo. Ces personnes souffrent de symptômes objectifs et subjectifs en relation avec la peau et les muqueuses, comme des démangeaisons, des sensations de chaleur, des douleurs, des érythèmes, des papules et des pustules (cfr. ci-dessus). Dans des cas graves, des personnes ne peuvent par exemple, pas utiliser de moniteur vidéo d’ordinateur ni de lumière artificielle, ni se trouver à proximité de téléphones mobiles. Les cellules souches, lorsqu’elles sont activées, libèrent un ensemble de médiateurs, parmi lesquels l’histamine, qui est impliquée dans une quantité d’effets biologiques à manifestation clinique, c’est à dire l’hypersensibilité allergique, les démangeaisons, les œdèmes, les érythèmes locaux et beaucoup de types de dermatoses.
A partir des résultats d’études récentes, il est clair que les champs électromagnétiques affectent la population des cellules souches et la population des cellules dendritiques. Ils peuvent dégranuler ces cellules. La libération dans la peau par les cellules souches de substances à propriétés inflammatoires, comme l’histamine donne lieu à des érythèmes locaux, à des oedèmes, à des démangeaisons, à des douleurs. La libération de somatostatine par les cellules dendritiques peut donner lieu à des sensations subjectives d’inflammation progressive et de sensibilité à la lumière ordinaire. Comme déjà mentionné, il y a des symptômes communs décrits par des patients souffrant d’électrosensibilité / de dermatite d’écrans vidéo. Des cellules souches sont également présentes dans les tissus cardiaques et leur localisation correspond particulièrement à leur fonction. Des données provenant d’études réalisées sur les interactions des champs électromagnétiques avec la fonction cardiaque ont démontré que des modifications très intéressantes se produisent dans le cœur après exposition à des champs électromagnétiques.
FEB: Comment décririez-vous le monde dans lequel vivent des personnes électrosensibles?
Prof. Johansson: En tant qu’individu sain, il est toujours très difficile de tenter de décrire la situation propre de certains patients, et je préférerais que quelqu’un d’autre réponde à cette question. Mais, en essence, cela doit être une vie quotidienne très dure (surtout pour des personnes asthmatiques ou allergiques) d’être astreint à prendre sans cesse garde à des situations périlleuses d’exposition imprévisibles. Et où peut-on trouver aujourd’hui un environnement électromagnétique équivalent à celui qu’on aurait pu trouver pendant les années 50, par exemple? Ou ce qui confond bien plus l’imagination, où pourrait-on trouver un milieu équivalent au niveau de celui de l’an dernier, en exposition à des hautes fréquences? Nulle part, je présume, car le développement de tous ces systèmes est tellement rapide et nous envahit tous très vite.
C’est pourquoi, la liberté de base du choix du lieu de vie, du lieu de travail etc. est impossible en ce qui concerne les exigences des personnes électrosensibles. Et donc, la question de l’électrosensibilité devient une question de démocratie!<
(1) Unité de Dermatologie expérimentale, Département de Neuroscience, Institut Karolinska, Stokholm (Suède)
(2) FEB (Swedish Association for the electrically sensitive, P.O. Box 6023, S-10231, Stockholm (Suède)