Influence d’une exposition chroniques aux champs magnétiques
Influence d’une exposition chronique à des champs magnétiques rencontrés en milieu professionnel sur les paramètres hématologique de la souris
par L. Bonhomme-Faivre, E. Bizi, S. Marion, Y. Bezie, E. Rudant, H. Auclair, S. Orbach-Arbouys, Laboratoire de Pharmacologie et Laboratoire d’Hématologie, Hôpital Paul brousse, 94800 Villejuif, France.
ex : Electro- and Magnetobiology, 14 (3), pp. 193-197 (1995) (Résumé).
Introduction : Des études épidémiologiques récentes en milieu professionnel ont montré qu’il pouvait exister une faible association entre l’exposition chronique à des champs magnétiques 50/60 Hz et des leucémies. Les niveaux de champs magnétiques dans ces études sont de l’ordre de grandeur de quelques dixièmes de microtesla. Cependant, il y a des endroits dans l’environnement du travail où les intensités de champs sont plus élevées. C’est le cas dans notre laboratoire (environ 5 µT = 50 mG). Suite à la présence de ces champs, on peut s’attendre à des perturbations de paramètres biologiques n’aboutissant pas nécessairement au cancer. C’est la raison pour laquelle nous avons étudié les effets d’exposition à long terme sur les leucocytes de souris Swiss.
Matériel et Méthodes : Des souris mâles Swiss âgées de 6 semaines au début de l’expérimentation ont été acclimatées dans une pièce où le champ magnétique ambiant était inférieur à 0,1 µT (1 mG). Elles ont ensuite été disposées dans des cages au niveau du sol où le champ magnétique alternatif moyen 50 Hz avait une intensité de 5 µT (50 mG). Le groupe témoin a été placé dans une autre pièce du laboratoire où le champ magnétique n’excédait pas 0,1 µT (1 mG). Les conditions d’exposition étaient obtenues grâce à la présence sous l’étage du transformateur avec son raccordement électrique alimentant l’hôpital (13 kV). Les mesures de champ magnétique ont été réalisées toutes les 3 heures avec un appareil Mag Check 50 couplé à un Multimètre METRIX MX-52 et une moyenne calculée sur chaque jour de travail. Le champ magnétique a été mesuré selon trois axes orthogonaux et calculé en racine carrée moyenne. La moyenne mensuelle était approximativement 5 µT (50 mG). Chaque jour un pic de champ maximal à 6,8 µT (68 mG) était observé à 10 heures et un pic minimal de 3,2 µT (32 mG) à 22 heures. Le champ était homogène dans les cages.
Les paramètres hématologiques (leucocytes totaux et leucocytes différenciés) et le poids des animaux étaient mesurés toutes les 3 semaines. Le sang était prélevé (200 µl) par puncture rétro-orbitale et analysé en utilisant un compteur de cellules (Sysmex NE 1500-TOA , Medical Electronics, Japan). Le sang était prélevé le matin, toujours au même moment de la journée.
Résultats : Au jour 0, il n’y avait pas de différence statistiquement significative dans les paramètres hématologiques ou dans le poids entre les groupes. Le 20ème jour, les comptages de leucocytes étaient plus faibles pour le groupe exposé que pour le groupe témoin et une diminution significative a également été observée pour les lymphocytes, les monocytes et les éosinophiles (tableau 1). Aucune différence n’a été observée le 43ème jour, excepté un faible taux d’éosinophiles. Le 63ème jour, il n’y avait pas de différence entre les deux groupes pour aucun paramètre. Cependant, le 90ème jour, les leucocytes, les neutrophiles et les éosinophiles étaient significativement plus bas dans le groupe exposé que dans le groupe témoin.
Notre étude a montré que des souris mâles Swiss exposées chroniquement à des champs magnétiques 50 Hz à une intensité de 5 µT (50 mG), manifestaient une modification du taux de leucocytes variant avec le temps d’exposition. Les animaux témoins présentaient
Jour 0 |
Jour 0 |
Jour 20 |
Jour 20 |
|
Témoins |
Exposées |
Témoins |
Exposées |
|
Poids en g |
26,5 ± 4,8 |
26,6 ± 3,8 |
30,6 ± 3,6 |
31,2 ± 1,9 |
Leucocytes x 109/L |
5,37 ± 1,97 |
6,1 ± 1,4 |
10,74 ± 2,26 |
7,02 ± 2,33 * |
Polynucléaires neutrophiles |
2297 ± 755 |
2515 ± 908 |
2650 ± 701 |
2214 ± 876 |
Lymphocytes x 106/L |
2894 ± 1496 |
3352 ± 855 |
7768 ± 1920 |
4610 ± 1746 ** |
Monocytes x 106/L |
131 ± 67 |
165 ± 70 |
214 ± 106 |
135 ± 77 ** |
Eosinophiles x 106/L |
53 ± 50 |
67 ± 60 |
110 ± 65 |
61 ± 42 ** |
Jour 43 |
Jour 43 |
Jour 63 |
Jour 63 |
Jour 90 |
Jour 90 |
|
Témoins |
Exposées |
Témoins |
Exposées |
Témoins |
Exposées |
|
Poids en g |
32,5 |
32,5 |
35,4 |
35,1 |
35,3 |
34,8 |
Leucocytes |
5,85 |
6,85 |
5,16 |
3,83 |
3,53 |
2,28 |
Polynucléaires neutrophiles |
2137 |
2733 |
2733 |
1094 |
1359 |
622 |
Lymphocytes |
3387 |
3984 |
2611 |
2497 |
1972 |
1528 |
Monocytes |
135 |
113 |
142 |
98 |
89 |
64 |
Eosinophiles |
188 |
19 |
82 |
123 |
116 |
65 |
Evolution du poids corporel et de la formule sanguine de souris Swiss exposées à des champs magnétiques 50 Hz.
Légende : Données exprimées en moyennes ± SD. Test Mann-Whitney : * p < 0,05 ; ** p < 0,01.
une importante augmentation du taux de leucocytes lorsqu’ils atteignaient 9 semaines d’âge, comme cela se produit habituellement pour des animaux en phase de croissance, alors qu’une faible augmentation était observée pour les animaux exposés. Cependant, le 43ème jour, une compensation hématopoiétique se manifestait, car il n’y avait plus de différence entre les groupes. Par contre, l’exposition cumulée jusqu’à 90 jours conduisait à une chute significative des leucocytes dans le groupe exposé.
Le 20ème jour, la décroissance était perceptible pour les lymphocytes, les monocytes et les éosinophiles alors que le 90ème jour c’étaient les neutrophiles et les éosinophiles qui diminuaient.
Au cours de cette étude, des diminutions significatives des érythrocytes et de l’hémoglobine ont été observées le 20ème jour. Des résultats publiés antérieurement à des niveaux de champ magnétique 50 Hz plus élevés (20 mT = 200.000 mG) n’ont montré aucun effet sur le système hématopoiétique, mais dans ce travail, les souris n’étaient exposées que 7 jours. Récemment, Picazo et al. ont montré que des souris femelles exposées à un champ magnétique 50 Hz de 0,1 mT (1.000 mG), pendant trois mois avaient une leucopénie significative et des altérations qualitatives des leucocytes.
Nos observations de phénomènes de compensation et de décompensation confortent l’hypothèse selon laquelle les champs magnétiques à extrêmement basses fréquences exerceraient une action sur le système polyvalent des cellules souches. Une seconde hypothèse consisterait en une action directe des champs sur les sécrétions de molécules par les neutrophiles, telles la lactoferrine. Cette dernière est connue pour apparaître dans les neutrophiles lorsqu’ils sont à l’état de myélocytes. Les protéines à liaison avec du fer, la lactoferrine et la ferritine-H ont été impliquées dans la régulation négative de la myélopoièse in vivo et in vitro. La lactoferrine appartient aux granulations lysosomiales des polynucléaires neutrophiles qui sont observés à l’état de myélocytes. Elle a un rôle dans les fonctions bactéricides et digestives durant la phagocytose. La lactoferrine est également impliquée dans la régulation de la myélopoièse. L’éosinopénie observée chez les souris exposées peut être expliquée par le stress induit par les champs magnétiques.
Bien que le système hématopoiétique des souris exposées puisse compenser le 43ème jour l’effet nuisible de l’exposition, il semble que l’exposition chronique puisse conduire à un processus ultérieur de décompensation (le 90ème jour).
Des expérimentations similaires pourraient être réalisées sur l’homme, étant donné que des anomalies des paramètres hématologiques (leucopénie et neutropénie chroniques) et des altérations immunologiques ont également été observées dans nos laboratoires sur des personnes travaillant dans ces mêmes locaux où les souris ont été exposées.
Conclusions : Notre étude a montré que l’exposition chronique de souris à des champs magnétiques 50 Hz environnementaux conduit à des désordres hématologiques chez des animaux jeunes et adultes. Cependant, les limites courantes d’exposition aux champs magnétiques 50/60 Hz ont été fixées (Recommandation Européenne et de l’O.M.S.) à des valeurs beaucoup plus élevées (500 µT = 5.000 mG). Ces limites d’exposition ont été calculées en supposant que seuls les courants électriques induits dans le corps par les champs magnétiques ambiants seraient susceptibles de générer des effets biologiques.